DU CAPITALISME À LA DISCRIMINATION : L’HISTOIRE DE LA TAXE ROSE

Par Laurence St-Amand

L’homme et la femme : deux sexes bien définis, qui entrent tous deux dans la catégorie des homos sapiens, connue sous le nom d’humains, mais qui, dans notre société, ne semblent que différents l’un de l’autre. Depuis la nuit des temps, on qualifie l’humain soit d’homme, soit de femme. De cette idéologie naquit le principe de stéréotypes, qui fit son entrée dans le monde en 1922 par l’écrivain Walter Lippman. Ce principe divise de plus en plus nos hommes et nos femmes en deux catégories distinctes par ce qu’on appelle la socialisation genrée, soit un phénomène attachant certains comportements ou objets du quotidien à l’un des deux sexes en particulier. Ainsi, que l’on parle de certains métiers spécifiques, d’objets assez communs ou de rôles sociaux, la plupart des choses qui nous entourent sont vues comme étant propres à un sexe à cause de l’établissement de la société. Dès notre naissance, on nous apprend que certains comportements tels que croiser ses jambes, jouer avec des poupées, montrer ses émotions ou prendre soin de sa famille se doivent d’être rattachés à la féminité, tandis que frapper, cacher ses sentiments, jouer avec des camions et travailler fort sont des agissements masculinisés. Cette socialisation genrée peut en effet toucher le comportement des humains, mais elle affecte aussi notre physique. En effet, on apprend aux jeunes filles qu’elles doivent toujours bien paraitre, qu’elles doivent se maquiller, bien s’habiller et qu’il est nécessaire qu’elles montrent un peu leur corps pour séduire, mais pas trop, bien évidemment. Aux garçons, on leur inculque le devoir d’être musclés, de toujours être confiants et droits et qu’il est primordial de se comporter en gentilshommes. Donc, la socialisation genrée touche autant les hommes que les femmes dans notre société moderne.

Un exemple flagrant de cette socialisation genrée serait le principe de la «taxe rose». Cette taxe représente l’augmentation des prix de produits courants féminins, alors que leur équivalent masculin est moins cher. Généralement, la seule différence entre les deux produits est la couleur, d’où le terme «rose» rattaché au principe. Cette fameuse taxe, qui découle du marketing, fut introduite à la base lorsque les produits féminins sont arrivés sur le marché. Réalisant qu’ils ne touchaient que 50% de la population avec leurs produits, soit les hommes, les dirigeants de compagnies ont changé leur apparence pour les rendre plus «féminins» : des couleurs plus chaudes, des odeurs plus douces et des noms plus poétiques ont été ajoutés aux modèles de bases. Par contre, un problème s’impose : tel qu’expliqué dans l’article How Users Matter, The Co-Construction of Users and Technologies, dans le chapitre intitulé Materialized Gender: How Shavers Configure the Users’ Feminity and Masculinity, écrit par Ellen Van Oost, les hommes sont généralement les ingénieurs derrière la plupart des produits apparaissant aujourd’hui sur le marché. Mis à part les produits les plus récents, les modèles de base des articles vendus dans les industries datent d’il y a longtemps, mais ont été modifiés avec le temps pour convenir à notre société moderne. Lorsque ces ingénieurs ont créé ces inventions pour la première fois, comme le rasoir, invention d’un homme nommé Jacob Schick, ils ont utilisé le «I-methodology», une technique qui consiste à se prendre comme exemple d’utilisateur de l’objet inventé. Ainsi, comme la plupart des inventions ont vu la lumière à travers l’esprit d’un homme, bien peu de ceux-ci ont été adaptés aux conditions féminines. L’utilisation rudimentaire du rasoir, par exemple, était conçue pour des hommes, donc sa structure ne convenait pas au corps de la femme. Par contre, une femme était beaucoup plus séduisante si tout son corps était rasé. Ainsi, on se retrouve avec une incohérence : la femme doit se raser, mais le rasoir n’est pas fait pour elle. Donc, les industries ont féminisé le modèle de base, tout simplement pour vendre plus. On pourrait donc en conclure que l’introduction des produits féminins sur le marché ne serait qu’une technique capitaliste pour permettre aux grands présidents-directeurs généraux (PDGs) de renflouer leurs portemonnaies. Vient ensuite l’imposition de la taxe rose sur ces produits dits plus féminins. Rasoirs, crème à raser, shampoings, coupes de cheveux : la liste d’items présentant des injustices de prix est exhaustive. De nos jours, la société crie sur tous les toits que l’égalité homme-femme est présente, mais l’est-elle vraiment? Est-il réellement normal que les femmes paient plus pour des produits essentiels, tout simplement parce qu’elles n’ont pas les mêmes organes génitaux que les hommes? Encore aujourd’hui, malgré tous les mouvements féministes soulevés depuis le début des temps, les femmes paient beaucoup plus cher pour certains produits. Tel qu’écrit dans le texte La Taxe Rose : marketing, consommation et inégalités entre les sexes, publié en 2017 par le Conseil du Statut de la Femme du Québec : « Le Times concluait, en 2016, que les femmes britanniques paient en moyenne 37 % de plus que les hommes pour des articles identiques parmi les milliers de produits analysés. » Bien que cette statistique s’applique au Royaume-Uni, la situation ne change que très peu ailleurs dans le monde : c’est du pareil au même. Certains économistes expliquent que la taxe rose serait en fait causée soit par les coûts de production et la quantité de matériau utilisé, soit par le manque de consommation des produits féminins qui résulte à la hausse des prix. Par contre, si l’on reprend l’exemple du rasoir, comme on oblige aux femmes de se raser tout le corps, versus les hommes qui n’ont que leur barbe à raser, on peut en conclure que les femmes doivent utiliser beaucoup plus de rasoirs que les hommes, donc consomment beaucoup. De plus, les modèles sont presque les mêmes : 5 lames, un manche et la même taille, donc la même quantité de matériau. Ce qui diffère? Tout simplement la couleur. Ainsi, ces deux hypothèses sont réfutées : ni la consommation, ni la quantité de matériau ne change quoi que ce soit. Alors, qu’est-ce qui change? Pourquoi devons-nous payer plus cher pour des rasoirs? Parce que le sexisme existe encore. Parce qu’enlever la taxe rose, c’est d’enlever des profits aux maîtres du capitalisme.

Bref, pour ma part, cette situation ne me plaît guère. Bien sûr, la lutte pour l’égalité des sexes me tient plus qu’à cœur. Par contre, j’ai une vive impression que cette bataille a été établie par défaut, que les hommes se sont joints au mouvement que parce que c’en est devenu la «mode». Si l’on prend, par exemple, le vote des femmes, il a été mis en place seulement suite à de vives réformes de la part de groupes féministes, comme les suffragettes, et non par une décision volontaire des hommes au pouvoir. Bien que ce commentaire présente une certaine généralisation abusive et que c’est une opinion entièrement subjective, je crois tout de même qu’une grande majorité des hommes qui se sont rattachés au mouvement de défense de la femme ne l’ont fait que pour ne pas s’attirer de haine. Concernant la taxe rose elle-même, je trouve qu’elle représente parfaitement la situation de la socialisation genrée, ainsi que le manque d’actions entreprises par les gouvernements et les hauts dirigeants. On la tasse, on nous dit qu’elle n’existe pas, que ce n’est qu’un produit de l’inflation, quand en fait c’est loin de n’être que ça. Cette taxe représente, selon moi, le résidu des pensées arriérées d’antan. Notre société évolue énormément, bien sûr, mais le passé nous suit toujours et cette taxe ne fait que nous le rappeler. Je trouve important d’aborder ce sujet puisque bien souvent, on me dit que les deux sexes sont égaux, que nous faisons des progrès et qu’en 2021, cela ne sert à rien d’être féministe. Si l’on prend, par exemple, le rasoir, en plus du fait qu’il coûte plus cher pour les femmes, il est un symbole direct du fossé qui sépare la gent féminine de la gent masculine. En effet, je trouve aberrant que la société apprenne aux femmes qu’elles sont plus séduisantes si elles n’ont pas de poil ailleurs que sur la tête. Les hommes, eux, peuvent se promener librement avec du poil sur les jambes et sous les bras, sans qu’on leur dise quoi que ce soit, mais dès qu’une femme le fait, on la fixe, on la juge et on lui dit qu’elle est répugnante et malpropre. Pourquoi? Qu’est-ce qui fait qu’un garçon n’a pas le devoir de se raser, mais qu’une femme, oui? Avoir du poil, c’est dans les gènes humains, ça sert à se protéger du soleil et des intempéries, donc l’enlever devient un acte contre nature! J’ai moi-même comparé deux rasoirs, dont j’ai assuré la similarité. Celui pour femme, le Gillette Venus Swirl, revenait à 14,97$, versus celui pour homme, le Gillette Fusion 5, revenait à 12,97$.Bien que ce ne soient que deux dollars de différence, à la longue, le prix de consommation des rasoirs pour femme revient beaucoup plus cher. Tout ça simplement pour se fondre aux normes de la société, qui enseigne aux filles et aux femmes que d’avoir du poil sur les jambes, c’est répugnant.

Ainsi, nous sommes tous touchés, que nous le voulions ou non, par la socialisation genrée. Qu’un individu soit homme, femme, non-binaire, gay, transgenre, cisgenre, bisexuel, androgyne, queer, et j’en passe, il sera affecté par le regard que les autres poseront sur lui et par les lois, ou le manque de lois, devrais-je dire. Il est grand temps de changer le système d’éducation et de modifier nos pensées arriérées qui incitent les gens, les choses et les situations à être rattachés à un genre précis. Il est dommage que, de nos jours, un monde équitable où hommes et femmes seraient tout simplement considérés comme de simples humains à parts égales ne soit qu’une utopie.

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